Chroniques de livres photo pour la revue The Eyes
2013-2017

• The Eyes #8
Automne-Hiver 2017




Larry Sultan, Pictures from Home
Mack Books, 2017. 196 pages, 45 euros.
Première édition : Harry N. Abrams, Inc, 1992. 112 pages.
Dans les années 80, la décennie de la présidence Reagan, Larry Sultan photographie ses parents, lors de visites étalées sur plusieurs années. Irving et Jean vivent dans le désert de Palm Springs, leur maison est décorée de moquettes vert émeraude, de tapisseries jaune d’or, et de rideaux épais.
Il a entamé ce projet sans vraiment savoir où il le mènerait, ni ce qu’il recherchait. Il rassemble ses portraits et les enrichit de vieux clichés et d’extraits de films tirés des archives familiales, d’un texte, et publie ainsi en 1992 un album très personnel. Larry Sultan écrit et donne voix à trois narrateurs : lui même et ses deux parents, détaillant ainsi leur histoire, leur rencontre à Brooklyn, leur déménagement à Los Angeles, leurs ascensions professionnelles, leurs relations, leurs doutes et leurs rapports aux portraits réalisés.
Le couple se prête aux mises en scène de leur fils, mais reste dubitatif concernant le résultat, n’adhérant pas du tout à sa perception de leur quotidien et d’eux mêmes. Ils lui reprochent de les représenter fatigués et taciturnes. La construction des portraits est contemporaine, léchée, les couleurs sont très présentes, et réelles, sans laisser a priori de place à la nostalgie et à l’affection. Pourtant, Larry Sultan communique aux lecteurs de son album un fort attachement à ses proches, une tendresse renforcée par l’aveu de ses incertitudes. Sultan cherche à comprendre le sens de son travail: sociologique ou affectif ? Il explique simplement sa démarche par sa volonté d’arrêter le temps et de rendre ses parents éternels : « Je prends conscience qu’au-delà des rouleaux de pellicule, des quelques bonnes images, des exigences de mon projet et de mon incertitude quant à sa signification, ma volonté est de prendre la photographie au pied de la lettre. Pour arrêter le temps».*
Depuis la première édition du livre, une génération a passé : vingt-cinq ans après, Michael Mack nous invite à rouvrir l’album de famille de Larry Sultan en proposant une nouvelle version. L’éditeur a réalisé cette relecture avec Kelly Sultan, la femme du photographe disparu en 2009.
L’objet est différent, très subtilement. Le format passe à la française, permettant de mettre en valeur les portraits en les entourant de marges. Les photographies sont décadrées, donnant une distance nouvelle aux personnages, comme une mise en abyme. Elles sont imprimées sur un papier blanc brillant, franc, et net, rendant l’impression des couleurs plus vives, panaché avec un papier fin et brut, non vernis, qui souligne l’effet flou et vaporeux des vieux souvenirs des extraits de films et clichés familiaux. Ils sont imprimés sur fond noir lorsqu’il n’est pas perdu. Quelques photos ont été ajoutées. La démarche première de l’auteur n’est pas altérée par cette nouvelle mise en page et ses discrètes différences.
* Extrait de la page 28 de l’édition Mack.

• The Eyes #7
Automne-Hiver 2017

Eamonn Doyle, i, (2014), On (2015), End (2016).
Auto-édité (D1)
Sorti à la fin du printemps 2016, End conclut la trilogie d’Eamonn Doyle, reprenant et mêlant les codes de i. et On les deux premiers volets, il se compose lui-même de plusieurs mini-livrets.
En apparence très éloigné de l’influence japonaise, on peut pourtant trouver plusieurs points reliant le travail d’Eamonn Doyle à Provoke. Le photographe irlandais dresse une chorégraphie de sa ville, Dublin, en se concentrant sur ses habitants. Il aborde ce travail spécifique en trois volumes, comme trois revues.
i. symbolise la redécouverte de la photographie pour Doyle : il saisit ses personnages en couleurs, la caméra est au-dessus de leurs têtes, les écrasant presque au sol, cachant leurs visages, et les abandonnant à leurs introspections.
En totale opposition, c’est dans On que le rapprochement est le plus évident : les passants sont shootés de face, les corps sont en mouvement, dynamiques, ils sont pourtant inaccessibles, livrés à leurs pensées. Les noirs sont denses et charbonneux.
La ville est lourde, grise, couleur de pierre. Les personnages sont des étrangers, on en voit des détails, des matières, des gros plans, et pourtant aucune personnalité ne s’en dégage.
Après avoir travaillé une vingtaine d’années dans la musique, Eamonn Doyle revient vers la photographie en 2008, fortement influencé par l’oeuvre de Samuel Beckett en saisissant ce qu’il connaît le mieux : sa ville, Dublin, et son quartier. La street photography ou le don de voir et de capturer la poésie fugace de l’incommunicabilité de l’ordinaire. Ses rues de prédilection sont O’Conell Street et Parnel Street. Le quotidien y a refait surface, mais chaque Dublinois y ressent les traces des émeutes de février 2006, résurgences du conflit nord-irlandais. C’est cette opposition en apparence tranquille qui transparait dans les images de Doyle. La ville est aussi importante que ses habitants, et le présent a conscience du passé.
Comme Provoke, Eamon Doyle repousse les limites de la photographie et la combine à d’autres modes d’expression. Dans End, aboutissement de i. et de On, les images de Doyle se mêlent aux illustrations de Niall Sweeney, et la musique de David Donohue (un vinyle 7’’ est inséré). Cette alchimie est encore plus frappante en exposition, où, au milieu d’une installation de tirages d’échelles différentes, et par un jeu de trous dans un mur de portraits le public devient inconsciemment passant lui aussi.

• The Eyes #6
Printemps-Été 2016

Alasdair McLellan, Ceremony
Londres, 2016, Autoédité, en collaboration avec M/M, couverture poster 50 x 65 cm, 2000 exemplaires, 116 pages, 45 €
En 2003, l’intervention armée des Etats-Unis en Afghanistan et en Iraq est appuyée par plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, bien que les Britanniques ne soient pas favorables à l’envoi de soldats. Moins encore début 2006, où le contingent est touché tant par des pertes lourdes, que par les scandales de brutalités révélés par la presse. C’est dans ce contexte morose que Jo-Ann Furniss, rédactrice en chef du magazine Arena Homme +, commande au photographe Alasdair McLellan un sujet sur les Forces de Sa Majesté.
McLellan est né dans le nord de l’Angleterre. Il a passé son adolescence dans les clubs de Leeds, à photographier ses amis, à lire le NME, Smash Hits et Melody Maker, avant d’être repéré par le styliste Simon Foxter pour le magazine I-D.
Son travail est empreint de la sensibilité et de la culture du Nord. Sa lumière, naturelle et franche, le caractérise, et contribue à révéler ses personnages, immédiatement, simplement, sincèrement. Par ailleurs, il est attaché au film, et à l’editing sur planches contact.
Pour réaliser sa commande, il passe près d’un mois auprès de soldats qui partagent leur temps entre leur missions en Afghanistan, et leurs régiments à Londres. Dans la capitale Britannique, ils assurent la sécurité et le service de la famille royale, tout en faisant la joie des touristes. McLellan les photographie lors de cérémonies et pénètre leur intimité : les casernes, les boxes, les vestiaires, les chambres. Saisies en lumière d’été, les couleurs sont chaudes, chatoyantes.
Ces soldats sont des adolescents. Leurs « baby face » dissimulent leurs combats. «On oublie que l’armée est une institution apolitique. On nous dicte nos actes. Mon travail consiste à commander dans le meilleur intérêt des soldats », note le Capitaine Ibbs, de la Royal Artillery. Ces jeunes hommes sont accessibles, souriants, fiers de leurs costumes ; leurs chambres sont tapissées de photos de cinéma, de clichés sportifs, de souvenirs de leurs frères, sœurs, girlfriends. Leurs uniformes sont aussi impeccables que leurs comportements : humilité, discrétion, politesse et gentillesse. inscrivent ces garçons dans les traditions militaires, au service de la famille royale.
Comme pour son précédent ouvrage (Ultimate Clothing Company, 2013), McLellan s’est associé aux graphistes du studio parisien M/M. Le contenant est le même : format carré, pochette de protection plastique, jaquette-poster, sticker… Ce systématisme apporte un côté rassurant et une douceur, qui siéent parfaitement au sujet. La douceur est aussi la fonction des premières doubles pages, portraits serrés, noir et blanc sur fond blanc. Straight to the point.
Exposition à venir : Alasdair McLellan & Lev Tanju : The Palace, à l’ICA Londres du 8 au 24 juillet 2016,
accompagnée d’un nouvel ouvrage publié par M/M (Paris).

• The Eyes #5
Automne-Hiver 2015

Mark Steinmetz,
The Players
Nazraeli, Paso Robles, 2015, couverture rigide, 80 pages, 60 euros
Je me souviens dans les années 1990 d’une affiche envoûtante de William Klein, avec la photo de ce garçon pointant son gun, visant Klein, et l’autre gosse mi-hébété, mi-admiratif. La couverture de The Players a ce même type de composition : un gamin regard face caméra, tient son casque de baseball, il est mis en valeur par les regards neutres de deux autres enfants. Pourtant, dans ces deux photographies il n’y a pas la même urgence : Steinmetz c’est un regard doux, calme, qu’il pose cette fois sur l’univers du baseball, au moment de l’adolescence.
Le baseball, est l’institution sportive par excellence, une expression du rêve américain, devenue populaire en même temps que la photographie.
Dans cet ouvrage, Mark Steinmetz montre des enfants, de 6 à 13 ans environ, photographiés entre 1986 et 1990. Les corps sont gauches, et manquent de grâce, d’habileté, et de concentration, à l’inverse des joueurs professionnels. « Trop verts pour éprouver le pur plaisir de savoir qu'ils sont bons (…) l'espoir conduit leurs actions plus que la conscience du geste», note Anne Wilkes Tucker dans l’introduction.
Steinmetz a capturé ces moments où les garçons progressent vers la maturité, parfois distraits en pleine partie, tandis que leur enfance s’épanouit encore dans les à-côtés du sport. Les photos oscillent entre attitudes et jeux d’enfants, en opposition aux gestes et enjeux d’adultes professionnels du baseball. J’aime ces temps suspendus où les gosses sont allongés près du terrain, dans des positions propres à leur âge, où ils sont bousculés / encouragés par leurs entraineurs / pères, admirés et soutenus par leurs mères et leurs sœurs, et fiers de leurs maillots et de leurs équipes.
Quelques détails me font sourire avec tendresse : le visage exprimant le plaisir malicieux du garçon arrosé (comment aurait réagi un adulte ?), les gants et les casquettes trop grands, le t-shirt « Godfather of the year » du coach (ajusté sur sa bedaine).
Enfant, Mark Steinmetz a lui-même pratiqué le baseball. Cette expérience justifie la nostalgie, la tendresse et la simplicité dont chaque image est empreinte. Certainement le résultat de l’équation lumière naturelle / noir et blanc / humanisme expérimentée d’abord par Robert Adams. Pour l’un comme pour l’autre Nazraeli est un écrin parfait, propose des livres de facture classique et nécessairement discrète, leur permettant d’exprimer leur calme, appelant le lecteur à sa propre mélancolie et nostalgie, et l’invitant à réfléchir sur son environnement, son mode de vie, et ses « essentiels ».
Nazraeli, Paso Robles, 2015, couverture rigide, 80 pages, 60 euros
Je me souviens dans les années 1990 d’une affiche envoûtante de William Klein, avec la photo de ce garçon pointant son gun, visant Klein, et l’autre gosse mi-hébété, mi-admiratif. La couverture de The Players a ce même type de composition : un gamin regard face caméra, tient son casque de baseball, il est mis en valeur par les regards neutres de deux autres enfants. Pourtant, dans ces deux photographies il n’y a pas la même urgence : Steinmetz c’est un regard doux, calme, qu’il pose cette fois sur l’univers du baseball, au moment de l’adolescence.
Le baseball, est l’institution sportive par excellence, une expression du rêve américain, devenue populaire en même temps que la photographie.
Dans cet ouvrage, Mark Steinmetz montre des enfants, de 6 à 13 ans environ, photographiés entre 1986 et 1990. Les corps sont gauches, et manquent de grâce, d’habileté, et de concentration, à l’inverse des joueurs professionnels. « Trop verts pour éprouver le pur plaisir de savoir qu'ils sont bons (…) l'espoir conduit leurs actions plus que la conscience du geste», note Anne Wilkes Tucker dans l’introduction.
Steinmetz a capturé ces moments où les garçons progressent vers la maturité, parfois distraits en pleine partie, tandis que leur enfance s’épanouit encore dans les à-côtés du sport. Les photos oscillent entre attitudes et jeux d’enfants, en opposition aux gestes et enjeux d’adultes professionnels du baseball. J’aime ces temps suspendus où les gosses sont allongés près du terrain, dans des positions propres à leur âge, où ils sont bousculés / encouragés par leurs entraineurs / pères, admirés et soutenus par leurs mères et leurs sœurs, et fiers de leurs maillots et de leurs équipes.
Quelques détails me font sourire avec tendresse : le visage exprimant le plaisir malicieux du garçon arrosé (comment aurait réagi un adulte ?), les gants et les casquettes trop grands, le t-shirt « Godfather of the year » du coach (ajusté sur sa bedaine).
Enfant, Mark Steinmetz a lui-même pratiqué le baseball. Cette expérience justifie la nostalgie, la tendresse et la simplicité dont chaque image est empreinte. Certainement le résultat de l’équation lumière naturelle / noir et blanc / humanisme expérimentée d’abord par Robert Adams. Pour l’un comme pour l’autre Nazraeli est un écrin parfait, propose des livres de facture classique et nécessairement discrète, leur permettant d’exprimer leur calme, appelant le lecteur à sa propre mélancolie et nostalgie, et l’invitant à réfléchir sur son environnement, son mode de vie, et ses « essentiels ».






• The Eyes #4
Printemps-Été 2015

Alessandro Calabrese & Milo Montelli (édition de), A Drop in the Ocean
Éditions du Lic, Oslo, 2014, reliure cartonnée, 106 pages, 47,50 €
Simplicité, passion, voilà la première impression, et c’est la bonne. Et puis vient ce petit goût nostalgique, avec même un zeste années 1970 de nos albums de famille, le tout mis en scène de façon résolument moderne.
Sergio Romagnoli, professeur de géographie et de sciences naturelles à Jesi, en Italie, est mort naturaliste et photographe amateur tué (meurtre non élucidé) à Sao-Tomé-et-Principe, archipel africain, en 1994, à l’âge de 37 ans. Lui et sa femme venaient de s’engager comme volontaires dans un orphelinat. Une façon pour eux de surmonter le chagrin de la mort récente de leur fils de 1 an.
A drop in the Ocean, est né de la collaboration de Milo Montelli, Alessandro Calabrese, et Nicholas McLean. Les deux premiers sont italiens et photographes, éditeurs pour l’occasion, et le troisième a fondé les Éditions du LIC, en Norvège. Ensemble ils ont donné vie aux archives de Sergio Romagnoli, qui témoignait de son amour envers la nature par la photographie. Enfant, Milo Montelli entendait les récits des voyages et aventures du professeur, un ami de son père.
Milo Montelli et Alessandro Calabrese ont récupéré quelques albums du photographe amateur, décollé les tirages jaunis pour les scanner, et donner forme à ce corpus désorganisé. Ils s’inspirent de la photographie contemporaine pour mélanger les chapitres (détails de plantes, portraits, paysages, moments de vie, inventaire botanique), ou pour créer des associations improbables et maintenant évidentes (écorce d’arbre et peau d’éléphant, museau de chien et rocher pointu, par exemple). Cette modernité donne rythme et douceur à l’ouvrage, transformant l’album photo en manifeste sensible.
Cet ouvrage c’est aussi un ensemble d’indices qui fait sens, car tous mènent vers une évidence, un hommage vibrant à un homme curieux, altruiste, citoyen, spontané et amateur : les albums récupérés compilent des photographies simplement annotées des lieux et dates de prises de vues. Seules les diapositives sont classées, elles représentent des plantes inventoriées par espèces. Appliquer la connaissance de la photographie contemporaine à cette collection permet de mettre en relief la pratique amateur du photographe.
C’est aussi un hommage à un homme en avance sur son temps, ayant pris conscience de l’impératif écologique depuis plus de vingt ans. La nature relie aussi Calabrese et Montelli, qui ont déjà collaboré ensemble sur Thoreau, fruit d’une résidence photographique d’Alessandro Calabrese, inspiré des écrits de Henry David Thoreau et publié en février 2014 par Milo Montelli aux éditions Skinnerboox.
Et comme une dernière évidence, renforçant l’admiration des deux amis, le titre tiré d’une carte postale envoyée par Sergio Romagnoli, et une leçon pour notre quotidien (aussi bien en termes d’écologie que de rapports humains) : « But a drop in the ocean is better than nothing, »
Éditions du Lic, Oslo, 2014, reliure cartonnée, 106 pages, 47,50 €
Simplicité, passion, voilà la première impression, et c’est la bonne. Et puis vient ce petit goût nostalgique, avec même un zeste années 1970 de nos albums de famille, le tout mis en scène de façon résolument moderne.
Sergio Romagnoli, professeur de géographie et de sciences naturelles à Jesi, en Italie, est mort naturaliste et photographe amateur tué (meurtre non élucidé) à Sao-Tomé-et-Principe, archipel africain, en 1994, à l’âge de 37 ans. Lui et sa femme venaient de s’engager comme volontaires dans un orphelinat. Une façon pour eux de surmonter le chagrin de la mort récente de leur fils de 1 an.
A drop in the Ocean, est né de la collaboration de Milo Montelli, Alessandro Calabrese, et Nicholas McLean. Les deux premiers sont italiens et photographes, éditeurs pour l’occasion, et le troisième a fondé les Éditions du LIC, en Norvège. Ensemble ils ont donné vie aux archives de Sergio Romagnoli, qui témoignait de son amour envers la nature par la photographie. Enfant, Milo Montelli entendait les récits des voyages et aventures du professeur, un ami de son père.
Milo Montelli et Alessandro Calabrese ont récupéré quelques albums du photographe amateur, décollé les tirages jaunis pour les scanner, et donner forme à ce corpus désorganisé. Ils s’inspirent de la photographie contemporaine pour mélanger les chapitres (détails de plantes, portraits, paysages, moments de vie, inventaire botanique), ou pour créer des associations improbables et maintenant évidentes (écorce d’arbre et peau d’éléphant, museau de chien et rocher pointu, par exemple). Cette modernité donne rythme et douceur à l’ouvrage, transformant l’album photo en manifeste sensible.
Cet ouvrage c’est aussi un ensemble d’indices qui fait sens, car tous mènent vers une évidence, un hommage vibrant à un homme curieux, altruiste, citoyen, spontané et amateur : les albums récupérés compilent des photographies simplement annotées des lieux et dates de prises de vues. Seules les diapositives sont classées, elles représentent des plantes inventoriées par espèces. Appliquer la connaissance de la photographie contemporaine à cette collection permet de mettre en relief la pratique amateur du photographe.
C’est aussi un hommage à un homme en avance sur son temps, ayant pris conscience de l’impératif écologique depuis plus de vingt ans. La nature relie aussi Calabrese et Montelli, qui ont déjà collaboré ensemble sur Thoreau, fruit d’une résidence photographique d’Alessandro Calabrese, inspiré des écrits de Henry David Thoreau et publié en février 2014 par Milo Montelli aux éditions Skinnerboox.
Et comme une dernière évidence, renforçant l’admiration des deux amis, le titre tiré d’une carte postale envoyée par Sergio Romagnoli, et une leçon pour notre quotidien (aussi bien en termes d’écologie que de rapports humains) : « But a drop in the ocean is better than nothing, »

• The Eyes #3
Automne-Hiver 2014

Ari Marcopoulos &
Richard Prince,
The Shifter
Auto-édité, 2014, 51 exemplaires, 25€
Du 9 au 13 Avril 2014, à New York, en parallèle de l’Association of International Photography Art Dealers (Aipad), à quelques blocs de là, la librairie Fulton Ryder organisait Bepad : une foire aux livres dans une suite du Lowell Hotel, où avec les libraires Harper’s books et Karma ils présentaient chacun leurs dernières pépites.
Sur la table de Karma se trouvait le deuxième zine conçu par l’artiste star Richard Prince et le photographe Ari Marcopoulos. Sur le même modèle que le précédent, Jungle Pam, paru en 2011, The Shifter est autopublié, édité à cinquante et un exemplaires et signé par les deux artistes. Les exemplaires vendus au prix de 25 dollars, furent, on l’imagine, rapidement épuisés. Naissance du mythe.
Pour ce travail, Prince et Marcopoulos s’approprient des photos de la marque Hurst, fabricant de leviers de vitesses (shifters en anglais). Comme beaucoup d’entreprises du secteur automobile, Hurst a publié des catalogues où le bon goût se mesure aux mensurations et courbes avantageuses de poupées blondes. Linda Vaughn est Miss Hurst, l’ambassadrice de la marque. Ses cheveux décolorés, ses tenues courtes ou étriquées servent les fantasmes des amateurs de courses automobiles et de sensations fortes plus encore que les voitures elles-mêmes. La propagande sexiste s’étale sur les vingt-quatre pages du zine, la Miss posant de rares fois devant une voiture. C’est l’utilisation de la femme-objet que Prince et Marcopoulos souhaitent rappeler avec ce zine.
Plus que le contenu même du livre, c’est son histoire qui le rend intéressant. L’association de Richard Prince et Ari Marcopoulos, le nombre très limité de copies, son lancement au Lowell Hotel : une équation parfaite.
D’un tout autre côté cette publication souligne le versant spéculatif, et le fossé entre l’attention portée à l’objet et l’intention d’origine, un zine photocopié, devient immédiatement un objet de collectionn dont le prix décuplera sans aucun doute rapidement.
En attendant la publication d’un troisième zine (possible mais pour le moment pas encore programmée), un exemplaire de The Shifter serait disponible à la librairie Yvon-Lambert... à moins qu’un collectionneur fou n’ait déjà dégainé plus vite que vous.
Auto-édité, 2014, 51 exemplaires, 25€
Du 9 au 13 Avril 2014, à New York, en parallèle de l’Association of International Photography Art Dealers (Aipad), à quelques blocs de là, la librairie Fulton Ryder organisait Bepad : une foire aux livres dans une suite du Lowell Hotel, où avec les libraires Harper’s books et Karma ils présentaient chacun leurs dernières pépites.
Sur la table de Karma se trouvait le deuxième zine conçu par l’artiste star Richard Prince et le photographe Ari Marcopoulos. Sur le même modèle que le précédent, Jungle Pam, paru en 2011, The Shifter est autopublié, édité à cinquante et un exemplaires et signé par les deux artistes. Les exemplaires vendus au prix de 25 dollars, furent, on l’imagine, rapidement épuisés. Naissance du mythe.
Pour ce travail, Prince et Marcopoulos s’approprient des photos de la marque Hurst, fabricant de leviers de vitesses (shifters en anglais). Comme beaucoup d’entreprises du secteur automobile, Hurst a publié des catalogues où le bon goût se mesure aux mensurations et courbes avantageuses de poupées blondes. Linda Vaughn est Miss Hurst, l’ambassadrice de la marque. Ses cheveux décolorés, ses tenues courtes ou étriquées servent les fantasmes des amateurs de courses automobiles et de sensations fortes plus encore que les voitures elles-mêmes. La propagande sexiste s’étale sur les vingt-quatre pages du zine, la Miss posant de rares fois devant une voiture. C’est l’utilisation de la femme-objet que Prince et Marcopoulos souhaitent rappeler avec ce zine.
Plus que le contenu même du livre, c’est son histoire qui le rend intéressant. L’association de Richard Prince et Ari Marcopoulos, le nombre très limité de copies, son lancement au Lowell Hotel : une équation parfaite.
D’un tout autre côté cette publication souligne le versant spéculatif, et le fossé entre l’attention portée à l’objet et l’intention d’origine, un zine photocopié, devient immédiatement un objet de collectionn dont le prix décuplera sans aucun doute rapidement.
En attendant la publication d’un troisième zine (possible mais pour le moment pas encore programmée), un exemplaire de The Shifter serait disponible à la librairie Yvon-Lambert... à moins qu’un collectionneur fou n’ait déjà dégainé plus vite que vous.

• The Eyes #2
Printemps-Été 2014

Lucas Blalock,
Windows Mirrors Tabletops
Mörel books, London, 2013, reliure toilée, 238 pages, 42€
Toile beige, sans titre apparent ni sur la première ni sur la dernière de couverture, pas même sur le dos, ce pourrait être un journal intime, un agenda, un missel. Mais, non, c’est plus complexe.
Pardon, plus concept. Au premier feuilletage, le livre interpelle et accroche, tant la promesse extérieure est mise à mal, menant le lecteur dans une zone expérimentale, mystérieuse et décalée.
Windows, Mirrors Tabletops fait référence à une enseigne lumineuse devant laquelle passait Lucas Blalock tous les matins, et aussi une référence à “Mirrors and Windows”, exposition orchestrée par John Szarkowski au MOMA en 1978. Les artistes y étaient classés selon deux catégories : “windows” regroupait les photographes du réel (Garry Winogrand, Robert Frank…), et “mirrors” ceux qui en proposaient une interprétation romantique (Robert Heinecken, Robert Rauschenberg…). Lucas Blalock y ajoute “tabletops”, afin d’inclure ses natures mortes, et l’utilisation de Photoshop comme support.
Les clés principales de l’ouvrage sont données dans l’entretien de Lucas Blalock avec l’artiste, commissaire et auteur David Campany. Lucas Blalock documente ses performances photographiques et pousse les limites de l’outil, laissant une large place à l’improvisation pendant la prise de vues, et libre court à son « jazz photographique » (Photoshop) pour la finalisation. Pour lui, ce qui importe, c’est la façon de regarder, de photographier, avec un ton direct dans la réalisation, une lumière neutre. Il faut appréhender cet ensemble de photographies sans queue ni tête (apparentes) comme un carnet de notes, dans lequel il revient sans cesse sur des idées insuffisamment exploitées.
La référence à “Mirrors & Windows” et le questionnement des limites de la photographie inscrivent ce livre dans la tendance : « difficile à comprendre et à suivre… mais est-ce bien important ? ». Devant cette complexité se tiennent des photographies sibyllines où l’esthétisme prime, et c’est cela qui nous plait. Dans cette famille des « surréalistes modernes » ou des artistes « néopop », c’est selon, se retrouvent quelques uns des auteurs des livres les plus intéressants de ces deux dernières années : Roe Ethridge, Torbjorn Rodland, Sam Falls, Daniel Gordon, Paul Salveson.
rdon, Still lifes, Portraits and Parts, Mörel books, 2013
Paul Salveson, Between the shell, Mackbooks, 2013
Mörel books, London, 2013, reliure toilée, 238 pages, 42€
Toile beige, sans titre apparent ni sur la première ni sur la dernière de couverture, pas même sur le dos, ce pourrait être un journal intime, un agenda, un missel. Mais, non, c’est plus complexe.
Pardon, plus concept. Au premier feuilletage, le livre interpelle et accroche, tant la promesse extérieure est mise à mal, menant le lecteur dans une zone expérimentale, mystérieuse et décalée.
Windows, Mirrors Tabletops fait référence à une enseigne lumineuse devant laquelle passait Lucas Blalock tous les matins, et aussi une référence à “Mirrors and Windows”, exposition orchestrée par John Szarkowski au MOMA en 1978. Les artistes y étaient classés selon deux catégories : “windows” regroupait les photographes du réel (Garry Winogrand, Robert Frank…), et “mirrors” ceux qui en proposaient une interprétation romantique (Robert Heinecken, Robert Rauschenberg…). Lucas Blalock y ajoute “tabletops”, afin d’inclure ses natures mortes, et l’utilisation de Photoshop comme support.
Les clés principales de l’ouvrage sont données dans l’entretien de Lucas Blalock avec l’artiste, commissaire et auteur David Campany. Lucas Blalock documente ses performances photographiques et pousse les limites de l’outil, laissant une large place à l’improvisation pendant la prise de vues, et libre court à son « jazz photographique » (Photoshop) pour la finalisation. Pour lui, ce qui importe, c’est la façon de regarder, de photographier, avec un ton direct dans la réalisation, une lumière neutre. Il faut appréhender cet ensemble de photographies sans queue ni tête (apparentes) comme un carnet de notes, dans lequel il revient sans cesse sur des idées insuffisamment exploitées.
La référence à “Mirrors & Windows” et le questionnement des limites de la photographie inscrivent ce livre dans la tendance : « difficile à comprendre et à suivre… mais est-ce bien important ? ». Devant cette complexité se tiennent des photographies sibyllines où l’esthétisme prime, et c’est cela qui nous plait. Dans cette famille des « surréalistes modernes » ou des artistes « néopop », c’est selon, se retrouvent quelques uns des auteurs des livres les plus intéressants de ces deux dernières années : Roe Ethridge, Torbjorn Rodland, Sam Falls, Daniel Gordon, Paul Salveson.
rdon, Still lifes, Portraits and Parts, Mörel books, 2013
Paul Salveson, Between the shell, Mackbooks, 2013

Automne-Hiver 2013

James & Edward Newton,
Trampolines & Bouncy Castles
Auto-édité, 50 exemplaires, £20
http://highchair-editions.co.uk/
James et Edward Newton sont anglais, frères, photographes. Depuis deux ans ils publient ensemble leurs travaux à compte d’auteur, sous l’entité High Chair Editions. Trampolines & Bouncy Castles est leur dernier né.
Le travail des deux photographes est doux, fondé sur l’émotion, le contexte, la nostalgie, les sentiments. Méticuleusement et soigneusement « faits maison » (impression, reliure), leurs ouvrages sont en tirage très limités (de 10 à 100 exemplaires).
Orange Days est le carnet d’un rapide voyage à Valence. This time next year célèbre le passage du temps et la banalité du quotidien, pour la couverture à fleurs de ce livre les deux frères ont utilisé un papier qui tapissait les tiroirs d’une commode, dans leur maison de famille. I IV VII X rassemble des photographies réalisées au cours de l’année 2011, en janvier, avril, juillet et octobre. Des thèmes simples, traités avec maturité.
Trampolines & Bouncy Castles marque une rupture dans le travail des Newton.
A l’instar de leurs précédents ouvrages, ce livre est minimal, lo-fi. Un coffret en léger carton kraft protège deux livrets et deux posters, le tout en petit format (14,8 x 18 cm). Chacun des livres et posters propose les photographies de douze trampolines et douze châteaux gonflables.
Cela a commencé par une collection de photographies. « Nous étions attirés par ces objets tristes, seuls, délaissés, comme un membre oublié d’une famille. Nous les avons traités comme des sculptures ». La neutralité des images, la typologie, le noir et blanc, l’esprit Becher aide James et Edward Newton à transformer leur collection en inventaire.
Définis dans un prologue, les objets sont montrés en noir et blanc, linéaires, sans angle, sans subjectivité. C’est un mini-dictionnaire iconographique des équipements de loisir de plein air.
Pour cette fois, les Newton se sont attachés à montrer des objets plus que des contextes.
L’humour anglais mélangé aux codes de l’école de Düsseldorf transforme l’inventaire en farce. British humour.
Auto-édité, 50 exemplaires, £20
http://highchair-editions.co.uk/
James et Edward Newton sont anglais, frères, photographes. Depuis deux ans ils publient ensemble leurs travaux à compte d’auteur, sous l’entité High Chair Editions. Trampolines & Bouncy Castles est leur dernier né.
Le travail des deux photographes est doux, fondé sur l’émotion, le contexte, la nostalgie, les sentiments. Méticuleusement et soigneusement « faits maison » (impression, reliure), leurs ouvrages sont en tirage très limités (de 10 à 100 exemplaires).
Orange Days est le carnet d’un rapide voyage à Valence. This time next year célèbre le passage du temps et la banalité du quotidien, pour la couverture à fleurs de ce livre les deux frères ont utilisé un papier qui tapissait les tiroirs d’une commode, dans leur maison de famille. I IV VII X rassemble des photographies réalisées au cours de l’année 2011, en janvier, avril, juillet et octobre. Des thèmes simples, traités avec maturité.
Trampolines & Bouncy Castles marque une rupture dans le travail des Newton.
A l’instar de leurs précédents ouvrages, ce livre est minimal, lo-fi. Un coffret en léger carton kraft protège deux livrets et deux posters, le tout en petit format (14,8 x 18 cm). Chacun des livres et posters propose les photographies de douze trampolines et douze châteaux gonflables.
Cela a commencé par une collection de photographies. « Nous étions attirés par ces objets tristes, seuls, délaissés, comme un membre oublié d’une famille. Nous les avons traités comme des sculptures ». La neutralité des images, la typologie, le noir et blanc, l’esprit Becher aide James et Edward Newton à transformer leur collection en inventaire.
Définis dans un prologue, les objets sont montrés en noir et blanc, linéaires, sans angle, sans subjectivité. C’est un mini-dictionnaire iconographique des équipements de loisir de plein air.
Pour cette fois, les Newton se sont attachés à montrer des objets plus que des contextes.
L’humour anglais mélangé aux codes de l’école de Düsseldorf transforme l’inventaire en farce. British humour.